Alors que les guinéens s’étaient rendus aux urnes dans le calme et la sérénité pour élire leurs représentants locaux, les opérations de dépouillement et de centralisation des votes ont donné lieu à des scènes de violence pendant plusieurs jours. Ces affrontements partisans qui ont causé des pertes en vie humaine et des dégâts matériels importants seraient dus aux difficultés d’organisation et aux irrégularités constatées ici et là, mais aussi et surtout au manque de confiance envers la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI).

La publication des résultats s’est faite au compte-gouttes et il a fallu attendre plus de deux semaines pour que la CENI donne la majorité des résultats issus du scrutin. A ce jour, les résultats de trois circonscriptions restent encore inconnus. Mais à l’analyse des résultats déjà disponibles, les guinéens se demandent de quoi demain sera fait vu que ce scrutin longtemps attendu n’a ni éclairci de façon nette le champ politique et ni dissipé les tensions politiques.

Des résultats qui confirment la suprématie des deux grands partis.

Comme il fallait s’y attendre, le parti au pouvoir, le RPG-Arc-en-ciel est arrivé en tête en raflant 20 communes urbaines sur les 38 que compte le pays. Mais ce résultat bien en deçà du score attendu est jugé décevant par certains responsables qui voulaient complètement quadriller le pays en vue de nommer librement les chefs de quartiers, très écoutés par la base et qui auront une grande influence dans l’organisation des futures élections. Or le parti de la mouvance présidentielle est à égalité avec le principal parti d’opposition, UFDG, dans des fiefs qui lui étaient auparavant acquis: à Boké, à Kindia et à Matoto qui fut longtemps un bastion du RPG.

C’est dire donc que l’UFDG, la principale formation politique de l’Opposition, s’est battue comme un lion pour barrer la route au RPG. Les résultats publiés lui octroient 12 communes urbaines. Mais les responsables de l’UFDG contestent les résultats et dénoncent la fraude. Selon ses observateurs, il y a eu un usage abusif des procurations, des procès verbaux annulés ou totalement disparus. Et tous les recours introduits auprès des tribunaux ont été jugés soit non-recevables, soit non-fondés.

Selon l’UFDG, sans la fraude, le parti aurait gagné les communes de Matoto, Matam, Dixinn, Kindia et certaines autres circonscriptions à travers le pays. Et cela aurait confirmé son statut comme étant le parti qui a le plus élargi sa base électorale et renforcé ses positions durant ces dernières années. Mais en attendant c’est bien l’amertume qui prévaut au niveau des instances dirigeantes vu comment les choses ont tourné.

Si l’UFR a confirmé sa position comme troisième force politique du pays, elle n’a par contre gagné aucune commune urbaine. Un net recul pour ce parti qui avait recueilli des scores bien meilleurs à la présidentielle de 2010, aux législatives de 2013, et à la présidentielle de 2015. Pour les cadres de cette formation politique, c’est une déception sur toute la ligne et une pilule difficile à digérer pour la jeunesse du Parti qui a fait savoir son mécontentement lors de la dernière assemblée générale en empêchant la tenue de la réunion.

Les jeunes demandent des réformes au sein du Parti et dénoncent les députés UFR qu’ils accusent d’être responsables de l’échec. Mais les uns et les autres rejettent plutôt la plus grande responsabilité au député Baidy Aribot qui a préféré un poste administratif comme vice-gouverneur de la Banque Centrale en lieu et en place d’un poste électif. On l’accuse d’avoir entrainé l’UFR dans une alliance périlleuse avec le RPG et d’avoir cédé le bastion électoral de Kaloum, siège du pouvoir et de toutes les institutions républicaines.

Les militants s’énervent et se demandent pourquoi le remplaçant de Baidy Aribot n’a pas encore été nommé à l’Assemblée Nationale. Pour le moment, les observateurs se demandent comment l’UFR fera face à cette grogne qui fragilise encore un peu plus le Parti.

Sur quelles bases se feront les alliances?

En attendant, l’UFR peut se consoler du fait qu’elle sera très courtisée par les grands partis et les candidats indépendants sortis vainqueurs dans les urnes. Mais la question que tout le monde se pose est de savoir sur quelles bases vont se bâtir ces alliances. Et c’est là toute la singularité du système politique guinéen où tout est flou et en dehors des normes internationales. Sinon dans l’ordre normal des choses, il serait facile de prédire les alliances qui devraient se nouer pour la mise en place des conseils communaux.

Mais la Guinée est un pays où on a habitué les gens à des alliances contre-nature qui se font et défont au gré du vent. Tout se fait sur la base de considérations personnelles, ethniques ou d’autres critères subjectifs. On ne tient pas compte des programmes idéologiques ou de l’obédience politique. Et on s’étonne que les électeurs soient confus, perdus et souvent déçus.

Si on devait respecter les normes internationales, tous les partis de gauche ou de la mouvance présidentielle devraient se retrouver pour former des alliances dans le but d’avoir la majorité dans les conseils communaux. Et tous les partis de droite ou de l’opposition devraient engager des discussions pour une alliance gagnante. Cela aurait été si simple et si lisible! Mais dans ce cas de figure, où par exemple faudrait-il placer l’UFR?
Est-ce un parti libéral, de droite évoluant dans l’Opposition? Ou alors est-ce un parti de gauche, évoluant au sein de la mouvance présidentielle? Cette difficulté à placer l’UFR sur l’échiquier politique a été un grand handicap pour ce parti lors de ce scrutin puisque les électeurs ne savaient pas à quel saint se vouer. Interrogé, le leader du Parti, Sidya Touré a répondu que «Les alliances se feront au cas par cas, et dans l’intérêt de l’UFR»…

L’une des questions qui taraude les esprits en ce moment, est de savoir laquelle des formations politiques va s’allier à la liste indépendante Kaloum Yigui dont la candidate, Aminata Touré est arrivée en tête des suffrages dans la commune de Kaloum. Est-ce l’UFDG à cause du fait que celle-ci a infligé une défaite à la liste RPG, ou est-ce le RPG qui est son allié naturel, ou encore l’UFR désespéré d’avoir perdu son bastion électoral? Si l’on tient compte du fait que la Gauche guinéenne est en extase devant la victoire de la fille de Sékou Touré à Kaloum, on devrait normalement s’attendre à une alliance de Kaloum Yigui et du RPG. Mais qui sait

Il en est de même pour l’autre candidat indépendant vainqueur à Boffa, Maitre Saidouba Kissing Camara qui a réussi le tour de force de supplanter le parti UFR dans l’un de ses bastions électoraux. Il aurait obtenu 15 sièges sur 23! Que fera l’UFR face à une telle réalité? Et que feront les autres pour se positionner dans une circonscription si importante?

La réforme de la CENI

On ne saurait le dire assez! Au vu des dysfonctionnements observés au cours de ces communales, la CENI a besoin d’être reformée. S’il est vrai que le code électoral doit être amélioré et que le législateur a un rôle à jouer, il est clair aussi que la CENI a montré ses insuffisances.

Après treize (13) ans d’une longue attente, l’organisation de ce scrutin a fait défaut. On a vu que la distribution des cartes d’électeur s’est faite de façon chaotique. On a vu que la vote par procuration a été mal géré par la CENI. On a constaté les retards dans l’ouverture de certains bureaux de vote, et on a vu que du matériel et des procès verbaux étaient en quantité insuffisante. Sans parler de l’accès restreint aux centres de dépouillement. Malgré la présence d’une unité spéciale de sécurisation des élections locales (USSEL), les urnes n’ont pas été sécurisées et certains observateurs ont été empêchés de monter à bord des véhicules transportant des urnes.

On a vu que des procès verbaux qui ont disparu dans la nature, sans parler de cette longue attente interminable dans la publication des résultats qui bat un autre record en Afrique. Si tout ceci ne pousse pas les acteurs politiques à demander une refonte urgente de la CENI, il y a fort à parier qu’il faut s’attendre à des troubles encore plus graves lors des prochaines échéances électorales. Ce que les récents troubles électoraux ont montré c’est que les guinéens ne sont plus disposés à se voir déposséder de leurs droits. Il est donc temps de parer au plus vite.

Combien de fois l’a ton dit? En Guinée, il faut évoluer vers une CENI technique et mettre au placard cette CENI politique qui a montré ses limites. La CENI telle que constituée est un arrangement politique qui n’a eu son utilité que dans le régime d’exception dans lequel vivait la Guinée. Il faut se demander pourquoi les politiques trainent les pieds et refusent de changer cette CENI qui n’a plus sa raison d’être. Est-ce parce qu’elle sert mieux les intérêts politiques que ceux de la Nation? Les guinéens s’interrogent sur ces questions! Et de quoi Demain sera-t-il fait?

Thierno Sadou Diallo
Consultant

Cet éditorial reflète le point de vue de la rédaction du site d’information AlloAfricaNews