Thierno Sadou Diallo, Leader du Mouvement pour la Réfondation de la République, contributeur à . AlloAfricaNews

L’une des conséquences de la mauvaise gestion de l’ajustement structurel a été l’avènement de l’extrême pauvreté. Les reformes économiques mal appliquées ont eu des conséquences dramatiques pour les classes moyennes et les pauvres qui, dans le meilleur des cas, ont vu leur pouvoir d’achat diminuer et dans le pire des cas se sont retrouvés dans l’extrême pauvreté.

Les programmes d’ajustement structurel ont été élaborés par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International au début des années 1980 dans le but d’aider les pays en voie de développement à retrouver une situation économique plus saine et assurer la survie du système bancaire international mis en péril par des placements inconsidérés.

Au début des années 1990, de nouvelles versions des ajustements structurels des années 80 ont vu le jour. C’est durant cette période que la Guinée a commencé à participer àces programmes avec les fortes conditionnalités imposées par le FMI et la Banque Mondiale.

Alors si certains pays en voie de développement ont pu tirer profit de ces programmes d’ajustement structurel pour redresser leur économie, en Guinée, la mauvaise gestion du programme et la corruption de nos hauts cadres prédateurs ont contribué à aggraver nos difficultés économiques, sociales et politiques. Et il est important de rappeler que ceux qui nous gouvernent aujourd’hui sont les mêmes qui étaient aux manettes et qui ont géré ces programmes d’ajustement structurels pour la Guinée. En premier lieu, le premier ministre Ibrahima Kassory Fofana qui, à l’époque, était la figure montante du régime. Il finira bien par être nommé au prestigieux poste de Ministre de l’Economie et des Finances et à ce titre, il était considéré comme le ministre le plus puissant du gouvernement. C’est bien lui et d’autres toujours en activité qui ont plombé ces réformes structurelles avec des conséquences fâcheuses pour notre économie.

Il suffit juste de voir comment Kassory Fofana et Cie ont géré certaines conditionnalités de la Banque Mondiale comme le dégraissage de la Fonction publique et le désengagement de l’Etat de plusieurs secteurs de l’économie nationale. Malgré les mises en garde lancées par certains d’entre nous pour agir avec prudence, et en toutes proportions gardées, ils ont mis en œuvre ces programmes d’ajustement structurel de manière si légère, si désinvolte que des dizaines de milliers de guinéens ont perdu leur emploi et se sont retrouvés dans la rue sans aucun autre moyen de survie. Du jour au lendemain, la masse des chômeurs a explosé. Et pourtant on avait tout fait pour éviter un tel scenario.

Après la chute du régime de Mr. Sékou Touré, vers la fin des années 80 et au début des années 90, des rencontres périodiques avaient lieu à l’Ambassade de Guinée à Washington entre les cadres de la diaspora et les officiels venant en mission au FMI et à la Banque Mondiale. Nous discutions de beaucoup de sujets et particulièrement des réformes structurelles à mener pour redresser le pays et lui conférer une stabilité politique et économique. Et c’est dans ce cadre que nous avions abordé les réformes liées au Programme d’ajustement structurel.

S’agissant des licenciements massifs prévus au niveau de l’administration guinéenne qu’ils trouvaient pléthorique, on leur avait conseillé d’y aller doucement et progressivement. Mais ils ont fait la sourde oreille et en fin de compte ce sont plus de 12000 personnes qui ont été mises à la porte sans aucune autre forme de procès. On les appelait les «déflatés de la fonction publique et ils passaient une bonne partie de leur temps à protester devant le ministère de l’Economie et des Finances pour réclamer leurs droits.

Les autorités décidèrent ensuite de geler pour une période indéterminée les recrutements à la fonction publique pour réduire et maintenir à un niveau acceptable les effectifs. De 35000 fonctionnaires, le nombre a chuté à moins de 23000. Du coup, les nouveaux sortants des universités guinéennes ne bénéficiaient plus automatiquement d’un emploi à la fonction publique comme cela avait toujours été le cas sous le 1er régime. Tout ces nouveaux diplômés se retrouvaient dans la rue, abandonnés à eux-mêmes, et partaient grossir la masse des chômeurs.

Il y avait aussi le cas épineux de la privatisation des 120 unités de production nationale. Les employés ont été licenciés avant que l’Etat ne bazarde presque toutes ces unités à des opérateurs économiques privés guinéens qui, pour certains, n’avaient ni les moyens financiers, ni les capacités techniques pour les renflouer et les garder en opération. Ainsi des unités industrielles comme l’huilerie de Dabola, la conserverie de Mamou, l’usine des textiles de Guinée, l’Entreprise Nationale des Tabacs et Allumettes (ENTA), la Société des Brasseries de Guinée (SOBRAGUI) et SOMOVA ont tout simplement disparu, mettant en péril le tissu industriel guinéen.

Le comble dans tout cela est que ces unités industrielles et les sociétés desquelles l’Etat se désengageait avaient été rétrocédées à des amis, des parents ou des proches. Souvent, ce sont les membres du gouvernement eux-mêmes qui créaient des sociétés-écrans à la tète desquelles ils plaçaient des prête-noms. Certains ne s’en cachaient même pas, se sentant protégées par une culture de l’impunité. Ils disaient à qui voulait l’entendre: «Qu’il était temps de créer une classe d’entrepreneurs et de faciliter l’émergence de la bourgeoisie en Guinée».

On aura tout entendu avec ces gens-là qui, pratiquement, nous riaient au nez quand on leur disait que le licenciement massif de tous ces travailleurs allait plonger de nombreux ménages dans une grande précarité et favoriser une augmentation de la pauvreté. On leur a dit que même si les sociétés d’état et les unités industrielles étaient déficitaires, il fallait tout faire pour les garder dans le portefeuille de l’Etat car les emplois liés à toutes ces structures représentaient des filets de protection sociale.

Dans un pays qui n’a jamais mis en place un système fiable d’assistance sociale, éliminer d’un coup tous ces filets de protection sociale conduirait inévitablement à une explosion de la pauvreté. Surtout que l’agriculture guinéenne connaissait déjà de sérieuses difficultés à cause des désastreuses réformes économiques. Or le secteur agricole emploie plus de 52% de la population active et constitue la principale source de revenus pour 57% des ménages en milieu rural. A quoi d’autre pouvait-on s’attendre lorsque l’Agriculture est en crise, les usines sont fermées et les sociétés d’état revendues à vil prix et des dizaines de milliers de fonctionnaires sont jetés dans la rue sans ménagement?

On leur a dit que ce n’était point de cette façon qu’on passe d’une économie centralisée de type socialiste vers une économie de marche. On leur a dit qu’il y a des préalables, à savoir celui d’offrir des garanties juridiques suffisantes et rassurantes à l’investissement privé. Et si les investisseurs nationaux ne sont pas capables de gérer les potentialités offertes à eux parce qu’ils ont été choisis sur des critères subjectifs, cela pourrait avoir une mauvaise incidence sur l’investissement direct étranger. Le secteur privé en serait sérieusement handicapé et ne pourrait avoir un essor tel pour absorber la grande masse de chômeurs et futurs diplômés victimes des effets de l’ajustement structurel.

Voilà donc comment les dirigeants guinéens, parmi lesquels se trouvent Mr. Kassory Fofana et son groupe ont contribué à accentuer de façon exponentielle la pauvreté en Guinée. Alors il est à la fois ironique et révoltant que ce soient les mêmes qui reviennent aux affaires pour nous parler de l’extrême pauvreté et dire aux guinéens comment ils vont les aider à s’en sortir. La mauvaise gouvernance qu’ils ont institué toutes ces années n’a eu comme résultat que l’appauvrissement accéléré des populations et le surendettement du pays aux prêts obtenus avec les programmes d’ajustement structurel. L’ANIES n’est qu’une des initiatives pour corriger les effets pervers de la mauvaise gestion des politiques de l’ajustement structurel.

Et voilà aussi pourquoi l’alternance démocratique est nécessaire dans un pays pour rectifier les erreurs des équipes précédentes. Voilà pourquoi il ne faut jamais accepter le recyclage des élites qui ont fait leurs preuves et qui ont échoué. Voilà pourquoi la réfondation politique et économique sera nécessaire après le départ d’Alpha Condé du pouvoir.

Thierno Sadou Diallo
Président du Mouvement pour la Refondation de la République

 

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