Dans cet entretien M. Mamadi Touré, représentant permanent de la Guinée aux Nations-unies, explique le rôle de sa mission, ses difficultés et souligne la nécéssité d’une conférence nationale sur les états généraux de la diplomatie guinéenne.

 

AlloConakry: M. l’ambassadeur quelles sont les tâches assignées à votre mission auprès des Nations-unies?

 

Mamadi Touré: Notre rôle primordial, ici, c’est représenter la Guinée et exprimer la position du pays sur les grands dossiers. Mais nous voulons aussi voir dans quelle mesure le pays peut bénéficier du système des Nations-unies de manière significative. Et depuis ma prise de fonction en septembre 2011, nous avons engagé un certain nombre de réformes qui sont de deux ordres. Il y a d’abord les réformes du point de vue substance, c’est à dire le travail que la mission effectue ici aux Nations-unies. Ensuite, le cadre de travail, disons l’environnement dans lequel nous travaillons.

 

Dans le domaine de la substance, on a eu à réorienter un peu le travail de la mission. Depuis mon arrivée, j’ai mis l’accent sur ce deuxième point. Il s’agit donc de voir quelle sorte d’assistance nous pouvons avoir des Nations-unies. Ceci nous a amené à travailler en étroite collaboration avec la commission de consolidation de la paix. On s’est entendu sur 3 domaines d’intervention, à savoir la réforme du secteur de la sécurité, la réconciliation nationale et le programme emploi des jeunes et des femmes.

 

Quels sont les résultats obtenus par rapport à ces points?

 

Je pense que nous avons fait beaucoup de progrès. La Guinée a pu obtenir le financement pour la mise à la retraite de quelques 4000 soldats. On a aidé aussi à mettre en place le programme de recensement biométrique de l’armée. A cela s’ajoutent des programmes pour financer des projets de réconciliation nationale avec le groupe de facilitateurs, des religieux et c’est un processus qui continue.

 

Nous avons aussi entrepris d’aider la chaine pénale, de la police à la justice. Comme vous le savez, le président avait décrété 2013 comme l’année de la justice. C’est dans ce cadre que nous avons approché le Secrétaire général des Nations-unies pour lui demander une certaine assistance à la Guinée afin d’aider toute la chaine pénale. Le Secrétaire général va bientôt envoyer une délégation à Conakry pour finaliser les termes de référence de cette assistance.

 

Les dernières démarches que nous venons d’entreprendre sont liées aux législatives qui viennent de se tenir. Il s’agit de se tourner vers la nouvelle Assemblée pour voir de quelle manière on peut aider surtout dans le renforcement des capacités puisque que cette Assemblée est appelée à voter beaucoup de lois. Il faut donc qu’elle soit bien préparée pour essayer, entre autres, de contribuer au renforcement de la paix et relancer les activités économiques susceptibles de développer le pays.

 

Quelle est la principale contribution en date de la Guinée au système des Nations-unies?

 

La Guinée est présente dans beaucoup de missions des Nations-unies. A titre d’exemple, nous avons des policiers en Haïti, au Sahara Occidental et en Côte d’Ivoire qui font de très bon travail. Au Mali également nous avons envoyé des militaires qui opèrent sur le terrain et il y en a d’autres qui vont être y déployés dans un proche avenir. A la mission, ici, nous travaillons directement avec le département chargé du maintien de la paix pour nous assurer que les guinéens sont bien formés, recrutés régulièrement et remplacés, au fur et à mesure.

 

Avant votre nomination en 2011, vous avez travaillé pendant 29 ans à l’ONU. Comment avez vous trouvé le cadre et les conditions de travail à la mission guinéenne?

 

J’avoue que j’ai été choqué du cadre et les conditions de travail. La chancellerie était délabrée et manquait des équipements dignes de ce nom. Cela n’était pas encourageant et il fallait tout de suite trouver une solution. C’est ainsi que nous avons entrepris des travaux de rénovation. On a change le bureau de l’ambassadeur, tous les bureaux ont été rénovés. Le hall a été complètement décoré.

 

Avez-vous bénéficié d’un fonds spécial pour effectuer ces travaux?

 

Non. Nous avons réorienté un peu les dépenses. On a privilégié d’une certaine façon les projets de rénovation sur la base des petites recettes consulaires que nous recevons à la mission.

 

Deux ans après votre prise de fonction, on apprend que vous vivez toujours dans un appartement privé alors que la Guinée dispose d’une résidence officielle pour son ambassadeur?

 

 

Residence -Guinea-UNEffectivement, je vis toujours dans mon appartement que j’occupais quand j’étais fonctionnaire aux Nations-unies. Simplement parce que la résidence n’est pas dans les conditions qui permettraient à un ambassadeur d’y habiter. C’est un bâtiment délabré qui demande énormément de travail à faire. C’est un beau et grand bâtiment qu’on a acquis au début des années 60.

 

Selon nos informations, l’entretien du bâtiment était régulier. Chaque année une compagnie italienne venait l’inspecter, évaluait les besoins d’entretiens et ces entretiens étaient suivis. Et sous la deuxième république, le président Conté, apparemment, avait mis des fonds à la disposition de la mission permanente pour rénover le bâtiment. Je ne peux pas évaluer la qualité de la rénovation qui a été faite, mais à voir le bâtiment dans son état actuel – eh beh, c’est comme s’il n’a pas connu de retouche depuis au moins 40 ans.

 

Avez–vous informé vos autorités de cette situation et combien faut-il pour remettre le bâtiment?

 

Nous avons informé les autorités à travers le département de tutelle, c’est à dire le ministère des Affaires étrangères. Donc on attend…

 

A combien estimez-vous les travaux de rénovation?

 

Au moment  où nous parlons, il faut au moins 2 millions de dollars pour effectuer les travaux de rénovation. Si nous attendons 1 an après, ces travaux vont coûter plus cher.

 

Pensez-vous trouver un financement de l’extérieur pour pallier cette crise?

 

C’est une question de souveraineté nationale. Le financement doit venir du pays.

 

Pouvez-vous nous parler du personnel de votre mission, combien sont-ils et qui fait quoi?

 

Quand je prenais fonction en 2011, la mission avait une dizaine de membres du corps diplomatique. Et tant bien que mal, on se battait pour être présent dans toutes les commissions et on recevait des collègues qui venaient de Conakry pour les Assemblées annuelles. Mais depuis le rappel massif du personnel diplomatique l’année dernière, pour le moment nous n’avons reçu que deux: un conseiller et un comptable. Donc avec ce personnel réduit, il est très difficile de travailler.

 

Aux Nations-unies, il y a ce qu’on appelle le livre bleu qui donne un répertoire de toutes les missions diplomatiques, ici, représentées. En regardant ce livre vous verrez l’écart entre la représentation guinéenne et les représentations permanentes des pays comme le Mali, le Burkina Fasso, la Tanzanie etc… Vous verrez que ces pays ont un minimum de 10 à 12 membres. Il y en a qui ont jusqu’à 19 ou plus.

 

Quelles sont les conséquences d’une telle situation sur votre mission?

 

La première conséquence est que nous ne sommes pas visibles dans toutes les commissions. Ceci à des retombées très négatives en ce sens que nous n’avons pas toujours l’opportunité de mieux expliquer la position de la Guinée sur les grands dossiers internationaux. Pour cette raison, il nous est aussi difficile de bénéficier de certains projets. Le fait que nous soyons réduits joue énormément sur l’efficacité de notre mission.

 

Selon nos sources, votre personnel ne bénéficie pas de couverture médicale et que les frais d’éducation de vos enfants ne sont pas pris en charge.

 

Effectivement, les membres de notre mission diplomatique n’ont pas d’assurance maladie. L’éducation de nos enfants n’est pas prise en charge. C’est une situation très difficile pour les fonctionnaires expatriés. Et comme vous le savez, rien n’est gratuit aux Etats-Unis.

 

A quoi cela s’explique?

 

Seul Conakry, le ministère des Affaires étrangères peut nous éclairer là-dessus. Mais il faut un financement. Il faut que cela se reflète dans le budget de fonctionnement qui nous est alloué.

 

Avez-vous le sentiment que les autorités que vous représentez sont conscientes de vos difficultés, sinon pourquoi lésinent–elles sur les moyens?

 

J’ai de l’espoir que les besoins que nous éprouvons seront satisfaits, le moment venu. Je pense que le gouvernement en est conscient. Vous savez, nous passons une période très difficile dans notre pays où tout est prioritaire. J’espère que les législatives étant terminées, nous allons passer aux questions de développement, à l’amélioration des conditions de travail non seulement des diplomates, mais aussi de tous les fonctionnaires, disons des Guinéens d’une manière générale.

 

Vu tous les problèmes que vous avez ici et en tenant compte de votre expertise internationale, que recommandez-vous au gouvernement pour rendre efficace la diplomatie guinéenne?

 

Bon, ce que je dis là relève de mon avis personnel. Je parle sous le contrôle de mon ministre des Affaires étrangères et de mon président. C’est le président qui est l’architecte de la diplomatie guinéenne. C’est sa vision qu’on essaye de mettre en œuvre. Mais je pense que le moment venu, il serait intéressant d’organiser une conférence diplomatique. Comme vous le savez, le président a une vision du monde et de sa diplomatie. C’est à nous de l’aider à la mettre en œuvre. Pour y arriver, nous devons être sur la même longueur d’onde en partageant sa vision avec lui.

 

En retour, nous pouvons lui offrir des conseils techniques nécéssaires pour y arriver. Cela permettra à tous les diplomates, en poste à l’étranger, d’avoir une même lecture ou les mêmes éléments de langage face à tel ou tel dossier. Il y a aussi les conditions de travail des diplomates. Un plan de carrière et de formation doit être discuté. Je crois que le meilleur cadre est d’organiser une conférence diplomatique à laquelle les anciens et actuels diplomates peuvent participer,  ensemble pour réfléchir sur comment améliorer la diplomatie du pays.

 

 

Propos recueillis par Alsény Ben Bangoura

 

 

AlloConakry